Occuper un bâtiment vacant ne doit pas devenir un délit pénal

A l’heure ou sous le prétexte d’une remise a plat des lois relatives aux logements, une partie des parlementaires et le gouvernement veulent légiférer sur le « problème des squats », il nous apparaît important de mettre les choses au clair tant sur la réglementation existante que sur les avantages pour la société de ce mode d’habitation.

 

Cette tribune a été publiée le 9 juillet 2018 sur Mediapart.

 

Il existe des milliers de mètres carrés de logements vacants, et pourtant des personnes, au moins 140 000, n’ont d’autres choix que de vivre dans les rues. Certaines s’introduisent dans des bâtiments vacants ou des terrains inoccupés pour se mettre à l’abri.

 

Dans le cadre du vote de la loi Elan, différents amendements et propositions de loi proposent, entre autres, d’élargir la notion de violation de domicile, déjà lourdement sanctionnée, pour aller vers une pénalisation de l’occupation de la propriété immobilière d’autrui. Alors qu’un arsenal juridique complet est déjà à disposition des propriétaires souhaitant récupérer la jouissance de leur bien, certains parlementaires n’hésitent pas à instrumentaliser des faits divers marginaux pour proposer des textes qui contreviendraient dangereusement aux droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier le droit au logement. Soyons clairs, certains veulent faire croire qu’un squatteur peut faire irruption dans votre salon, vous voler la télécommande et s’installer chez vous. C’est totalement faux. Le droit actuel se trouve être très protecteur face à la violation de domicile. Cette fake news vise uniquement à pénaliser la majorité des occupations qui se font dans des bâtiments ou terrains désespérément vacants, souvent pour de tristes raisons spéculatives.

 

Se mettre à l’abri, mettre à l’abri les siens, sa famille, ses enfants, dans un bâtiment vacant, un terrain inoccupé, ne doit être considéré comme un délit pénal. Il en va du respect de la dignité humain.

 

Le réseau Intersquat de Paris Île-de-France rassemble 23 lieux, squat ou ancien squat ayant obtenu une convention d’occupation précaire, et bien d’autres existent également en-dehors de ce réseau. Ces lieux répondent avant tout à l’urgence et permettent à de nombreuses personnes précaires de disposer d’un toit. Selon une étude réalisée dans 30 squats par Médecins du Monde, l’hébergement dans ces lieux représentent plus de 200 000 nuitées par an. Et il n’est pas rare que les services sociaux, devant la saturation des dispositifs d’hébergement, orientent des personnes vers nos lieux de façon informelle.

 

Au-delà de l’hébergement d’urgence, il est utile de rappeler ici d’autres impacts positifs que ces espaces amènent dans les quartiers où ils se situent : soutien au secteur de la création, événements culturels accessibles à tous, actions locales (ateliers de réparation de vélo, coiffeur à prix libre, shiatsu, écrivain public, accès au droit, distributions alimentaires d’invendus et AMAP, jardinage…), pratique sportive populaire (boxe, danse…) ou encore sensibilisation aux enjeux environnementaux (jardinage, agriculture urbaine, réemploi…). À cette liste, il faut rajouter la richesse des échanges tissés, que ce soit de manière informelle ou dans le cadre de projets, par la diversité des personnes qui les fréquentent. Enfin, ces lieux peuvent être créateurs d’emplois : ainsi, la Petite Rockette, ancien squat devenu ressourcerie, emploie désormais plus de 20 personnes.

 

Plutôt que de pénaliser des personnes qui tentent simplement de s’en sortir face à la violence de la société française actuelle, il serait judicieux de trouver les moyens de mettre un terme au vrai scandale : celui de bâtiments laissés volontairement vides alors que des personnes meurent dans la rue.  Pour cela, le réseau Intersquat Paris vous interpelle aujourd’hui : attention à ne pas légiférer à la hâte par effet d’aubaine politique, car cela aura des conséquences humaines et sociales dramatiques.

 

Dans tous les cas nous le disons haut et fort : les squats ne sont pas ce que vous croyez. Et pour vous en rendre compte par vous-même, venez visiter un de nos lieux. Vous risquez d’être surpris !

 

L’article 226-4 du code pénal punit l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, ainsi que le maintien dans le domicile qui peut suivre. Lorsque ces faits sont constatés de manière flagrante au sens de l’article 53 du code de procédure pénale, l’évacuation forcée est possible, permettant l’arrestation des auteurs de l’infraction ; l’occupant légitime peut ainsi récupérer l’usage de son domicile.