http://www.rue89.com/rues-de-paris/2010/11/13/ce-week-end-fou-derniere-175815
Â
Paris : Des squats en sursis⊠et un festival en survie
Funeste mois dâoctobre pour les squats parisiens. La Marquise et le Gros Belec ont tous deux Ă©tĂ© expulsĂ©s. Cynique hasard du calendrier : ces espaces autogĂ©rĂ©s sâapprĂȘtaient Ă faire le plein de manifestations artistiques Ă lâoccasion du Festival des Ouvertures Utiles.
Le local industriel était désaffecté depuis plus de huit ans. Le 107 rue du Chemin Vert (XIÚ) se retrouve à nouveau vacant pour une durée indéterminée. Les membres du collectif Curry Vavart avaient obtenu quatre jours pleins pour plier bagage. Les valises sont bouclées depuis vendredi dernier.
Les squatteurs occupaient, sans droit ni titre, un immense bĂątiment de 2700 m2 depuis le 15 fĂ©vrier 2010. Ils ont donc Ă©tĂ© dĂ©logĂ©s le 29 octobre Ă lâaube, dans le calme. La prĂ©fecture de police a dĂ©pĂȘchĂ© une centaine de CRS pour faire appliquer une implacable dĂ©cision de justice. Et ce, Ă 48h de lâĂ©pineuse trĂȘve hivernale. MalgrĂ© lâabsence de tout projet confirmĂ© ou imminent pour leur bien, les propriĂ©taires, une SCI familiale, nâont rien voulu entendre.
Insensibles Ă la plĂ©thore dâactivitĂ©s artistiques qui fleurissaient dans leur hangar abandonnĂ© : crĂ©ations pluridisciplinaires, rĂ©pĂ©titions, spectacles, ateliers, dĂ©bats ou projections de films dâauteur. Terrain dâexpĂ©rimentation et foisonnante pĂ©piniĂšre de talents, le Gros Belec Ă©tait aussi un lieu de vie et de rencontres. Au total, une quinzaine de personnes y rĂ©sidaient en communautĂ©, dont la mascotte : un bĂ©bĂ© de 10 mois.
DĂ©jĂ contraints en dĂ©but dâannĂ©e dâenterrer le BĆuf 3 (XXĂš), Curry Vavart retourne aujourdâhui Ă la case suspens. PrivĂ©e de QG, lâassociation ne dĂ©sarme pas pour autant. Loin de lĂ . « On sâest dĂ©brouillĂ© dans lâurgence pour hĂ©berger tout le monde chez des amis. La suite est simple : on cherche un autre endroit modulable pour poursuivre et fĂ©dĂ©rer nos projets », clame Vincent Prieur, co-fondateur et chargĂ© des relations publiques. Ce jeune plasticien milite pour « lâapplication de la loi de rĂ©quisition des logements vides ». Un texte votĂ© en 1945 et tombĂ© dans les oubliettes.
Un « baptĂȘme du FOU » entre espoir et dĂ©sarroi
Moins dâune semaine avant la fermeture du Gros Belec, câest la Marquise qui avait subi le mĂȘme sort. Les forces de lâordre ont dĂ©foncĂ© la porte et fait usage de gaz lacrymogĂšnes.
Jeudi Noir, ardent dĂ©fenseur des mal-logĂ©s, avait rĂ©quisitionnĂ© cet hĂŽtel particulier, nichĂ© au cĆur de la trĂšs chic place des Vosges (IVĂš), en octobre 2009. Une somptueuse bĂątisse du XVIIĂš siĂšcle, « oubliĂ©e » depuis 45 ans.
Sa propriĂ©taire, une femme de 88 ans, a gagnĂ© son bras de fer. Inflexible, la cour dâappel de Paris a ordonnĂ© une expulsion sans dĂ©lai, assortie du versement dâindemnitĂ©s dâenviron 80 000 euros pour les squatteurs. Au nom de lâatteinte au droit de propriĂ©tĂ©.
Résultat : étudiants et précaires redécouvrent la rue, endettés, et la Marquise doit annuler sa participation au Festival des Ouvertures Utiles.
Dans ce contexte, la 6Ú édition du FOU a pris ses quartiers sur Paris et la proche banlieue. Bon an mal an, cette « potion contre la sclérose culturelle » bat son plein dans quatorze sites alternatifs, illégaux, tolérés ou conventionnés et, par nature, éphémÚres.
Des bulles de libertĂ© vectrices de lien social comme le Jardin dâAlice (XVIIIĂš), le Loft ou la Petite Rockette (XIĂš). En apparence, lâheure est Ă lâeffervescence et la bonne humeur. Les organisateurs misent sur le soutien du public et la programmation Ă©clectique, Ă©talĂ©e sur trois semaines.
Un savant dosage de concerts de rock industriel, expositions de peinture abstraite, performances burlesques, shows de jonglage surréalistes, théùtre de rue farfelu, diffusions vidéos iconoclastes, murs de graff subversifs ou expressions poétiques citoyennes. A retenir notamment : un vibrant hommage aux femmes artistes rendu au Carrosse (XXÚ).
« Une invitation Ă la folie, Ă la passion, Ă lâouverture de brĂšches dans la rĂ©alitĂ© et la grisaille quotidienne » Ă©crit lâIntersquat.
Toutefois, le rĂ©seau informel voit lâavenir sâassombrir en Europe : « AprĂšs l’Allemagne et la Hollande, la France prend des mesures antisquat, radicales et sĂ©curitaires. Avec la loi Hortefeux Loppsi 2, le prĂ©fet peut expulser sans jugement, contre lâavis du propriĂ©taire ou Ă sa place, de plein grĂ© ou de force et sans obligation de relogement. MĂȘme propriĂ©taire, vous pourrez ĂȘtre amenĂ© Ă quitter votre habitation si celle-ci est jugĂ©e insalubre, dangereuse ou portant atteinte Ă la tranquillitĂ© publique. Sur la base de ces critĂšres, nâimporte quel lieu risque lâĂ©vacuation en 48h ».
MĂȘme constat dâinquiĂ©tude pour Yabon, coordinateur du Carosse : « Je suis catastrophĂ©. La Marquise et le Gros Belec Ă©taient deux des meilleures adresses de Paris, tenues par des Ă©quipes exemplaires. Loin des clichĂ©s. Câest une rĂ©gression, le symbole du mĂ©pris et de lâincompĂ©tence de la Mairie. Ils avaient les moyens dâintervenir mais quand il faut se mouiller⊠LâidĂ©e, câest dâexiler les artistes ? Quâon sây trompe pas, ce climat de tension nâincite personne Ă baisser les bras. Au contraire, il renforce notre dĂ©termination !»
Mais que fait lâHĂŽtel de Ville ? PrioritĂ© au bling-bling ?
DĂ©clarations dâintentions, dĂ©sirs de rĂ©gularisation ou construction dâateliers, la Mairie de Paris semble armĂ©e de bonne volontĂ© pour prĂ©server la place de lâart vivant dans la citĂ©.
Lâadjoint de Bertrand DelanoĂ« en charge de la Culture, Christophe Girard, rĂ©pĂšte Ă lâenvie les moyens faramineux dĂ©ployĂ©s pour le 59 Rivoli ou le fantomatique 104.
En mai 2009, le conseil municipal, heureux possesseur de lieux inoccupĂ©s(104), avait mĂȘme rĂ©affirmĂ© son souhait de les mettre Ă disposition des groupes de squatteurs. Depuis ? Rien ou presque. Les artistes restent confrontĂ©s Ă des loyers exorbitants et Ă la pĂ©nurie dâespaces disponibles. Et forcĂ©s de mener, tambour-battant, une mini-guĂ©rilla urbaine pour sâexprimer.
Pourtant, depuis les annĂ©es 80, ces nomades revendiquĂ©s ne rĂ©clament « ni places ni prĂ©bendes, juste une forme de tolĂ©rance : exister dans les interstices de la ville, occuper temporairement ses friches, vivre au plus intime des quartiers, sans ĂȘtre attaquĂ©s, traĂźnĂ©s en justice, vilipendĂ©s » (manifeste de la Miroiterie).
HĂ©ritiers contestataires de la Cour des Miracles, les squats sont devenus des zones tampons, des laboratoires pirates et multiformes qui contribuent Ă restaurer le dynamisme, en vertigineuse perte de vitesse, dâune Ville LumiĂšre assagie. Loin de cette reconnaissance mĂ©ritĂ©e, les cultures populaires naviguent en eaux troubles. Plus que jamais…
Guillaume GOMIS